Il y a des jours où le sort s’acharne. Très fort. Vraiment très fort. Comme si une quelconque déité lassée de la télé-réalité habituelle qu’offrait l’humanité décidait à ce moment là de se pencher sur la vie d’une personne et de s’en mêler pour son petit plaisir sadique. Je suis persuadée que c’est ce qu’il s’est passé le jour où j’ai voyagé en Andalousie.
Je plante le décor :
J’étais étudiante dans le nord est de la France, en licence d’art plastiques plus exactement et mon petit ami de l’époque, originaire du sud, était en école de commerce à Grenade. Follement amoureuse à l’époque, j’avais décidé de le rejoindre pour les vacances.
Le voyage : premier train de Metz à Barcelone, durée : environ 8 heures. Second train de Barcelone à Grenade, trajet de nuit, durée : environ 10 heures.
J’étais habituée à ce genre de périple, même si c’était la première fois qu’il dépassait les sept heures de train. La preuve : j’avais prévu une tenue confortable, évité de me maquiller (le visage graisse énormément à cause de la climatisation), de la musique, des films, de quoi lire mais pas trop (je suis malade dans les transports) et même un dentifrice solide parce qu’il n’y avait rien de pire que l’haleine des longs trajets en train. Une pro du train quoi.
Me voilà donc à ma place, ma valise rangée, mes écouteurs mis, les portes refermées. C’était parti.
SNCF oblige, le train annonça du retard.
De 5 minutes. J’angoissai mais je me raisonnai vite. En général il y a du temps entre deux correspondances.
De 20 minutes. Bon… Je n’avais pas ma correspondance. Peut-être qu’ils avaient une solution de secours. Ce genre de chose arrivait souvent.
Sur le quai, armée de mon espagnol appris au collège (section européenne s’il-vous-plaît!) et au lycée, je demandai l’emplacement de l’accueil à un employé.
«¿Discúlpeme, donde esta la recepcion? Mi tren llegó tarde y perdí mi ..euh… correspondance “
Réponse glaciale : « En français ça marche aussi ! »
Oups. J’avais oublié qu’il ne fallait pas parler castillan à un catalan…
Je m’aventurai dans la gare et finis par trouver l’accueil. La femme qui y travaillait, très gentille, m’annonça que le prochain train était le lendemain soir.
Panique.
Il n’y avait vraiment rien en journée ? C’est que j’étais étudiante boursière. Je n’avais pas les moyens de payer l’hôtel, rien ! Ce voyage m’avait déjà coûté très cher, j’avais dû économiser sur plusieurs mois !
Je m’imaginais déjà dormir dehors puis errer toute la journée dans une ville d’un pays inconnu avec ma valise à la main à attendre le prochain train.
Après vingt bonnes minutes, la femme trouva une solution. Il n’y avait rien dans la soirée mais elle pouvait me mettre dans un premier train le lendemain matin et j’aurais une correspondance juste après.
Est-ce que ça m’allait ?
Avais-je le choix ?
Je ne savais pas comment passer la nuit mais c’était mieux qu’attendre toute une journée en plus…
Ce fut quand elle me demanda si je voulais prévenir mes parents que je me rendis compte qu’elle pensait tout le long que j’étais mineure. J’avais 21 ans… Enfin, au moins ça l’avait motivée à trouver une solution. Je la remerciai et me penchai sur le dernier problème : où passer la nuit ?
Heureusement pour moi, mon petit ami, beaucoup plus aisé que moi, que j’avais prévenu tout le long par sms, avait réservé un hôtel à côté de la gare.
Mon tout premier hôtel ! Et pas n’importe quoi ! Un trois étoiles quand même ! C’était impressionnant et nouveau mais au moins je n’étais pas à la rue et je dormirais bien.
Le lendemain matin, je découvris que la place qui m’avait été réservée était en première classe, et je peux vous dire que ça n’avait rien à voir avec la France ! Sièges en cuir, écouteurs offerts et film. Ce voyage s’améliorait considérablement depuis la veille ! J’en aurais presque apprécié le retard qui avait déclenché ces évènements !
… Jusqu’à la correspondance… Annulée.
Soit.
On m’informa qu’un bus était mis en place.
… Ce bus que je vis partir, rempli à raz bord de passagers, laissant tout le reste sur le trottoir.
Après une dizaine de minutes de panique au milieu d’autres personnes censées prendre cette correspondance également, un second bus fut mis en place et je pus enfin monter dedans.
J’avais beau essayer de penser positif, j’en avais déjà marre de l’Andalousie et ce n’étais pas le paysage composé de champs totalement brûlés par le soleil qui allait me contredire. J’étais habituée à la verdure et au froid. J’ai toujours eut du mal avec ce genre de paysage tellement sec qu’il me donnait soif. Hors… je n’avais quasiment plus d’eau. La voyageuse pro que j’étais n’avais pas prévu un tel retard.
Enfin, quelques heures plus tard, j’étais arrivée à Grenade, Granada comme disent les espagnols, c’était fiiiiii…. Non. Quelqu’un quelque part avait décidé de faire durer le « plaisir ».
Mon petit ami ne pouvait venir me récupérer parce qu’il était en cours…. Pendant deux putain d’heures ! (désolée pour le vocabulaire, à ce stade là, les nerfs lâchaient)
J’ai fini par rentrer chez lui, bien sûr et je dois avouer que je n’ai pas beaucoup de souvenirs du séjour en lui-même, sans doute une amnésie post rupture. Je cherche rarement à me souvenir du temps passé avec cet ex. Tout ce que je sais c’est que le retour se déroula sans encombre et je gardai une piètre image de Grenade. Peut-être qu’un prochain voyage pourrait me réconcilier avec cette ville, peut-être pas, qui sait.
Maintenant j’en ris de cette anecdote, mais un coin de mon esprit n’a pu s’empêcher d’y voir une preuve d’un certain sadisme divin. Il y avait beaucoup trop d’acharnement pour que ce soit un simple hasard …